Quels sont les critères du classement de 1855 et comment s’appliquent-ils au Médoc ?

23 mai 2025

Un classement dicté par le marché : la logique des prix

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le classement de 1855 ne repose pas sur des considérations strictement œnologiques ou gustatives. À l’époque, les organisateurs se tournent vers la Chambre de commerce de Bordeaux, qui délègue l’élaboration du classement au Syndicat des courtiers en vins. Ces courtiers, des experts du marché bordelais et fins connaisseurs des propriétés viticoles, établissent leur hiérarchie en s’appuyant principalement sur un critère : le prix de vente moyen des bouteilles sur les dernières décennies.

La logique est simple : si un domaine parvient à vendre son vin à un prix élevé de manière constante, cela reflète sa réputation, la qualité perçue de son produit et la robustesse de sa marque. C’est ainsi que les vins sont répartis en cinq catégories pour les rouges :

  • Premiers crus (les plus prestigieux et chers),
  • Deuxièmes crus,
  • Troisièmes crus,
  • Quatrièmes crus,
  • Cinquièmes crus (toujours au sommet, mais avec un prestige plus modéré).

En Sauternes et Barsac, pour les vins blancs liquoreux, les domaines sont classés en deux niveaux seulement : premiers crus et seconds crus, avec une distinction supérieure appelée "Premier Cru Supérieur", attribuée exclusivement au château d’Yquem.

Des terroirs d’exception au cœur des grands crus médocains

Si le prix a été le critère de base, il ne faut pas sous-estimer l’influence des terroirs : ces mosaïques géologiques et climatiques qui donnent au Médoc toute sa singularité. En 1855, l’appellation "Médoc" n’existe pas encore en tant que telle avec ses sous-appellations modernes (Margaux, Saint-Julien, Pauillac, Saint-Estèphe…). Cependant, les domaines classés se concentrent systématiquement sur des sols de graves garonnaises, ces cailloux déposés par la Garonne au fil des millénaires.

Ces graves, particulièrement adaptées à la culture du cabernet sauvignon, assurent un drainage parfait : un élément clé pour la qualité des raisins, surtout dans une région au climat océanique où les pluies peuvent être abondantes. En parcourant la liste des crus de 1855, on réalise que les domaines, tels que Château Margaux (premier cru) ou Château Beychevelle (quatrième cru), sont implantés sur des terroirs d’une qualité incontestable. Autrement dit : si les prix étaient un reflet de la reconnaissance par le marché, cette reconnaissance reposait souvent sur des fondations solides : l’exceptionnalité du terroir et le savoir-faire des propriétaires.

Des noms qui résonnent encore aujourd’hui

Revenons un instant aux premiers crus classés rouges de 1855. Ils ne sont que cinq :

  1. Château Lafite Rothschild (Pauillac),
  2. Château Margaux (Margaux),
  3. Château Latour (Pauillac),
  4. Château Haut-Brion (Pessac-Léognan, hors Médoc),
  5. Château Mouton Rothschild (Pauillac), ajouté comme premier cru seulement en 1973.

Ces noms sont encore synonymes d'excellence aujourd’hui, et les prix exorbitants de leurs bouteilles reflètent cette aura mythique. Prenez Château Lafite Rothschild : ses cuvées historiques du XIXe siècle s’arrachent souvent aux enchères pour des montants atteignant plusieurs dizaines de milliers d’euros. Mais ce qui est fascinant, c’est la manière dont ces châteaux parviennent à préserver leur statut à travers les époques, grâce à des investissements dans des techniques de vinification modernes tout en restant fidèles à leurs traditions viticoles.

1855 : un classement figé ou évolutif ?

Une critique récurrente envers le classement de 1855 réside dans son immobilisme. Depuis sa publication, seules deux modifications majeures ont eu lieu :

  • le reclassement de Château Mouton Rothschild en premier cru en 1973, suite aux efforts du Baron Philippe de Rothschild ;
  • la disparition ou l’intégration de certains domaines dans des propriétés voisines, mais cela reste marginal.

Pourtant, il serait injuste de dire que le classement est tombé en désuétude. Certains domaines, initialement cantonnés aux quatrième ou cinquième crus, jouissent aujourd’hui d’une réputation bien supérieure à leur position originelle : citons Château Pontet-Canet ou Château Lynch-Bages, qui se hissent souvent au niveau des seconds crus grâce à des efforts colossaux en matière d’agriculture biologique, de biodynamie et d’innovations œnologiques.

À l’inverse, des critiques pointent que certains crus classés n’ont pas toujours maintenu un niveau à la hauteur de leur titre. Cela met en lumière un débat de fond : faut-il actualiser le classement de 1855 pour refléter les évolutions du Médoc contemporain ? Une question qui demeure ouverte mais hautement sensible.

Comment ce classement influence-t-il encore le Médoc aujourd’hui ?

En somme, le classement de 1855 reste une balise incontournable pour naviguer dans l’univers complexe des vins médocains. Pour les amateurs, il fournit une grille de lecture qui permet d’identifier rapidement les grands noms du vignoble. Pour les acheteurs et les investisseurs, c’est un critère rassurant de valeur et de prestige.

Mais pour les domaines eux-mêmes, surtout ceux qui n’en font pas partie, le "labyrinthe" de 1855 peut représenter un défi. Les crus bourgeois, un autre classement établi en 1932 et remis à jour régulièrement, tentent de rééquilibrer les cartes en réhabilitant des propriétés remarquables qui n’ont pas intégré cette fameuse liste. De même, des étoiles montantes du Médoc repoussent aujourd’hui les limites de la qualité, prouvant qu’il y a une vie au-delà des grandes étiquettes de 1855 !

Et vous, lorsque vous goûtez un vin du Médoc, pensez-vous à ces classements ou êtes-vous plutôt inspiré par le charme intrinsèque d’un cru ? Quoi qu’il en soit, ces classements continuent d’enrichir les discussions et de faire rêver les amateurs, plus d’un siècle et demi après leur création.

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