Graves, le terroir d’avenir : portrait de domaines engagés dans la viticulture durable

23 juin 2025

Un contexte propice à l’innovation : la dynamique durable dans les Graves

Portée par les évolutions réglementaires (loi ÉGALIM, certifications et HVE, etc.), les attentes sociétales et les aléas climatiques, l’AOC Graves s’inscrit dans une dynamique où la durabilité devient aussi vitale qu’un drainage efficace. D’après le Conseil Interprofessionnel du Vin de Bordeaux (CIVB), plus de 75 % du vignoble bordelais est aujourd’hui certifié à un niveau environnemental (HVE, Terra Vitis, Bio…), et les Graves n’échappent pas à cette accélération.

  • Historique d’innovation : Les Graves abritent certains des tous premiers essais bordelais de culture biologique dès les années 1980. Aujourd’hui, la région accueille environ 850 hectares certifiés bio ou en conversion (source : Agence Bio, 2023).
  • Une mosaïque de pratiques : Outre le bio, l’AOP valorise également la certification Terra Vitis et la Haute Valeur Environnementale (HVE), mais de plus en plus de châteaux vont au-delà, avec des démarches de préservation de la biodiversité locale ou de neutralité carbone.

Portraits de pionniers : domaines majeurs et références confidentielles

Château Haut-Bailly : l’exigence environnementale à la hauteur du prestige

Classé Grand Cru Classé de Graves, le Château Haut-Bailly fait figure de laboratoire discret mais acharné en matière de pratiques durables. Dès 1998, le domaine cesse l’utilisation d’herbicides. Aujourd’hui, la propriété est entièrement certifiée HVE3 et ses vignerons mènent des essais de viticulture régénérative : plantations de haies, enherbement intégral, confusion sexuelle contre le ver de la grappe (source : Revue du Vin de France).

  • 30 % de la surface est laissée à la biodiversité (forêts, prairies, haies…)
  • Gestion optimisée de l’eau de pluie : deux bassins récupèrent et filtrent l’eau utilisée au chai

Par ailleurs, Haut-Bailly multiplie les partenariats pour de la recherche agronomique : étude de variétés résistantes, couverture végétale innovante… Preuve que la durabilité se conjugue aussi au présent de la haute couture viticole.

Château Carbonnieux : la biodynamie en pratique, sans dogme

Autre Grand Cru Classé, Carbonnieux a entamé en 2019 la conversion de la totalité de son vignoble en agriculture biologique. Sa particularité : une démarche pragmatique, parfois inspirée par la biodynamie (tisanes, calendrier lunaire) mais toujours guidée par l'observation du vivant et la maîtrise oenologique.

  • Absence totale de produits de synthèse depuis 2019
  • Valorisation de la faune auxiliaire (nichoirs, hôtels à insectes)
  • Expérimentation de cépages résistants au mildiou en collaboration avec l’INRAE

Le château met aussi l’accent sur la sensibilisation : ouverture fréquente au public, ateliers pédagogiques, communication transparente sur les coûts réels et l’impact de la conversion bio.

Château Larrivet Haut-Brion : audace et innovation durable

Au sud de la région, Château Larrivet Haut-Brion multiplie les démarches novatrices. Converti à la Haute Valeur Environnementale depuis 2018, le domaine expérimente :

  • L’agrosylviculture (plantation de 900 arbres en partenariat avec l’ONF en 2021), pour un microclimat plus résilient
  • L’introduction de couverts végétaux et de moutons en hiver pour limiter l’érosion
  • L'utilisation de drones pour une surveillance ciblée et limitée des traitements

L’originalité de Larrivet Haut-Brion ? Des tests de vinification en amphores, pour une expression pure du fruit et une réduction de l’empreinte carbone liée au transport du bois de fût. (Source : Sud-Ouest, 2022)

Stars montantes et artisans du renouveau : la relève verte en Graves

Château de Cérons : l’alliance subtile du patrimoine et de l’écologie

Le minuscule (8 ha) Château de Cérons, mené avec brio par la famille Perromat depuis vingt ans, incarne une vision holistique de la durabilité : conversion bio, démarches sociales (emploi local, formations), restauration douce du patrimoine bâti. Le domaine a banni tout herbicide dès 2011 et s’attèle à recréer des milieux humides et des mares pour favoriser batraciens et auxiliaires.

  • Production de compost à partir des marcs, réutilisé à la vigne
  • Tracteur électrique depuis 2022 : réduction sensible du bruit et des émissions
  • Chantiers participatifs pour la replantation des haies bocagères

Résultat ? Un microclimat retrouvé, des rendements certes plus faibles, mais des vins de plus en plus précis et salués par la critique (Bettane+Desseauve, 2023).

Clos Floridène : oser le bas-carbone, du verre au fût

Domaine confidentiel fondé par Denis et Florence Dubourdieu, Clos Floridène s’illustre par sa ferme volonté de réduire l’empreinte carbone. Tout est pensé :

  • Bouteilles allégées (- 90 g par bouteille, soit 11 % de gain de CO2 à la production, chiffre CIVB 2022)
  • Pratique de l’agroforesterie et enherbement sur 100 % du vignoble
  • Systèmes d’irrigation micro-localisés pour économiser l’eau, utilisation exclusive d’azote d’origine organique

Floridène fait également partie du projet européen Life ADVICLIM, qui mesure en temps réel la captation de CO2 dans la vigne. Ces données servent à améliorer en continu la stratégie environnementale, et à partager les apprentissages avec d’autres vignerons.

Des labels… à la réalité du terrain : quelles certifications dans les Graves ?

Certifications et labels offrent des garanties, mais parfois ne disent pas tout de la réalité (voir dossier Vitisphère, 2023) :

  • HVE (Haute Valeur Environnementale) : aujourd’hui, plus de 50 % des propriétés en Graves sont certifiées HVE3 (source : Syndicat des AOC Graves, 2023). C’est un socle, critiqué par certains pour être trop permissif, mais précieux pour la progression collective.
  • Bio et Biodynamie : environs 100 domaines (dont 16 classés) sont certifiés ou en conversion sur l’aire des Graves et Pessac-Léognan. Les contraintes, notamment liées à l’humidité du climat océanique, rendent cette mutation remarquable.
  • Autres démarches volontaires : Labels Terra Vitis, Bee Friendly, ISO 14001, engagement collectif Système de Management Environnemental du CIVB (plus de 400 membres dans le Bordelais).

À cela s’ajoutent les dynamiques locales : groupes de travail sur la biodiversité (cf. initiative « Vignoble Zéro Phyto »), recherche de variétés alternatives, applications mobiles de gestion environnementale.

Le durable, entre défis agronomiques et enjeux économiques

S’engager dans la viticulture durable ne relève ni du simple souci d’image ni d’un effet de mode. Les Graves expérimentent – parfois à leur dépens – la complexité : pression des maladies, coût du passage en bio (jusqu’à +30 % de charges en année de conversion selon la Chambre d’agriculture de Gironde), marché du vrac encore hésitant face aux labels « verts ».

  • Le climat : depuis 20 ans, on observe une hausse de 1,5°C de la température moyenne dans le Bordelais (source : INRAE). Les ajustements s’imposent pour maintenir la fraîcheur et l’équilibre des vins – d’où tests de porte-greffes, d’irrigation au goutte-à-goutte, replantation de cépages oubliés (Castets, Marselan).
  • L’emploi local : la conversion bio suppose de multiplier les passages à la vigne pour la prophylaxie. Plusieurs châteaux embauchent jusqu’à 15 % de salariés supplémentaires pour ces tâches (source : CIVB, 2023).
  • La formation : montée en compétence des équipes, formation continue sur la gestion du sol vivant ou la vitiforesterie, appui de la Chambre d’agriculture et des Œnoviti.

Mais ces efforts paient : de plus en plus, une clientèle, y compris internationale, plébiscite transparence et authenticité des pratiques, et s’intéresse à l’origine durable autant qu’au classement du cru.

L’écho du vivant : ouverture sur la biodiversité retrouvée

Au fil de ces initiatives et de ces visages, un fil rouge se dessine : la durabilité dans les Graves n’est pas qu’un impératif agricole, c’est un projet de territoire où nature et culture dialoguent à nouveau. Du Grand Cru Classé à la propriété familiale, chaque engagement, chaque arbre planté, chaque absence d’herbicide est un pari sur l’avenir – celui de la vigne mais aussi de tout l’écosystème qui l’entoure.

Le défi ? Réconcilier le prestige d’un terroir multiséculaire avec la fraîcheur d’une dynamique écologique en pleine effervescence. Les Graves, hier mémoriales, sont aujourd’hui un laboratoire ouvert : les visiteurs curieux peuvent y cueillir bien plus que des notes de dégustation – ils y perçoivent la pulsation d’un vignoble en transformation, vertueux et vivant.

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